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Farandole d'adjectifs
Mon approche du management c'est plutôt le mode participatif et implicatif. Quitte à m'y fatiguer ou désespérer parfois, j'explique le pourquoi et le comment, je sollicite avis et suggestions. Ça a toujours été mon approche naturelle. Et à force d'étonnements et d'incompréhension autour de moi j'ai fini par :
1. Désespérer de la façon dont certains managers considèrent leur job
2. Essayer de leur montrer qu'il y a d'autres façons de faire les choses
3. Et donc par objectiver et exprimer pourquoi je fonctionne comme ça et je suis convaincue par mon approche
Management implicatif parce que je m'efforce systématiquement d'expliquer et de faire adhérer. Quand je délègue une responsabilité ou que je demande quoi que ce soit je donne le contexte (dans quel projet on se situe, quels sont les clients internes et/ou externes), les objectifs (du projet ou de l'action, de la mission elle-même, du ou des livrables demandés) et les développements attendus (comment vont être utilisés les livrables, comment va évoluer le projet, comment cela s'intègre dans la stratégie générale du service / de l'activité / de l'entreprise).
Bref je fais ce que je peux pour que les personnes à qui je demande un travail ne soient pas cantonnées à un rôle de simple exécutant (quand il s'agit d'une activité de production) ou ne tombent pas dans la tendance facile à se mettre des oeillères et ne voir que leur propre petit pré carré dans le projet (pour les cadres et les activités transversales ou verticales).
Management participatif parce que je veux éviter les deux extrêmes de la délégation.
Tout imposer Mâcher le travail : Je ne veux pas imposer à la fois la forme du rendu et la façon de le faire et puis le contenu, et aussi les étapes, bref je ne veux pas pré-macher tout le travail. Mais je ne veux pas non plus laisser la personne avec tellement peu de consignes qu'elle va nécessairement se planter dans la version 1 de son livrable, voire dans la version 2, et puis 3.
Donc de la même façon que je donne des éléments de contexte je donne des orientations sur ce que j'attends exactement, mes contraintes précises (ce sur quoi je ne transigerai pas) mais aussi des conseils ou des alertes (pour éviter des écueils prévisibles).
Les laisser se planter Ne pas être assez précise et faire perdre du temps à tout le monde : Je ne veux pas non plus, sous des prétextes oiseux d'aider les gens à progresser "à la dure", juste lancer une consigne en l'air et voir ce que les gens vont en faire.
Je considère que j'ai mieux à faire que d'admirer l'in.capacité de mes équipes à la pratique divinatoire. Je ne prends aucun plaisir à les mettre en difficulté, et je n'y vois aucun intérêt pédagogique non plus.
L'idée, pour moi en tant que manager, est d'accompagner sans se substituer pour atteindre plusieurs objectifs :
Rassurer et donc lever de multiples freins potentiels
Valoriser et donc inciter à donner le meilleur de soi-même
Impliquer et donc avoir une réalisation la plus aboutie et propre à être utilisée le plus largement possible
Autonomiser et donc progressivement tendre vers le minimum d'implication opérationnelle de ma part
Faire progresser et donc rendre le plus intéressant et riche possible le poste des membres de mon équipe, tout en pouvant mener plus de projets et d'actions à l'intérieur de mon département
Sauf que tout ça c'est bel et bien bon mais ça ne semble pas vraiment être l'approche numéro un de la plupart des managers que j'ai pu rencontrer. Et surtout quand on parle de délégation à des équipes de production ou aux missions très opérationnelles.
Là, bizarrement, je vois autour de moi une tendance très forte à déléguer en mode marche ou crêve. Parce que quand même, on va pas toujours les assister hein tous ces gens. S'il faut toujours prendre du temps à leur expliquer le pourquoi et le comment on va jamais s'en sortir. De toute façon ils comprennent rien. Et puis ils font aucun effort. Et ils s'en foutent. Et quand on les oblige à sortir de leur zone de confort, la plupart du temps ils font de la merde. (fin des extrais choisis).
Alors autant se venger de tous ces défauts en les clouant au pilori !
On en est donc là. Tous les jours je discute avec d'autres managers, et je me heurte à un mur d'incompréhension quand je veux faire progresser mes équipes et tirer le meilleur d'eux-même. Quand j'essaie, dans la limite du possible, de pratiquer un management individualisé sur certains projets. Quand je m'efforce de créer un esprit d'équipe et de coopération.
L'approche de certains de mes homologues semble être un subtil mélange de politique de la terreur, d'ambiance cours de récréation à base d'humiliations et de délation, et de jugements définitifs.
Oui un peu de pragmatisme c'est bien. Oui on ne peut pas porter les gens à bout de bras. Mais est-il nécessaire de les lâcher dans une piscine olympique alors qu'ils ne savent pas nager ? Et de se faire une opinion définitive de leurs capacités sur cette performance ?
Pourquoi, au lieu de favoriser un esprit d'équipe et de coopération (qui a le mérite de nous décharger, nous managers, d'innombrables questions et petits arbitrages par le jeu de l'entraide et de l'échange avec des collègues ayant des expertises complémentaires), il semble que ce soit l'esprit de concurrence et de méfiance qui gagne ? Avec comme conséquence de toujours déprécier le travail réalisé puisqu'il sera toujours "moins bon" que celui du voisin.
Pourquoi, au lieu de considérer que les membres de nos équipes sont des potentiels à développer (en fonction de leurs envies et capacités, des besoins de l'entreprise, et de notre stratégie pour notre service / département), on juge leur niveau et leurs supposées capacités ? Avec comme conséquence, à force de ne jamais attendre plus d'eux, de les limiter et les enfermer dans un rôle anesthésiant et démotivant ?
Pourquoi, dans les entreprises, semble-t-on appliquer des préceptes (en les pervertissant) tout droit issus des commandos de l'armée ? Pourquoi on envoie des bleus au front en première ligne en sachant qu'on attend que le hasard et les évènements fassent le tri pour nous et ne restent que les supposés plus compétents ?
Je ne suis pas vraiment quelqu'un qui voit le monde en noir et blanc. Et je pense depuis longtemps que le management est une affaire très personnelle. Il y a certes des techniques et ficelles qui peuvent s'apprendre, des méthodes à appliquer, mais dans l'absolu je suis convaincue qu'il y a autant de façon de manager que de managers.
Et donc quand je fais le constat d'un écart aussi important entre ma propre approche et celle de mes collègues, je ne pense pas qu'un de nous ait foncièrement raison et les autres complètement tort. Je ne suis pas le mètre étalon du parfait-petit-manager après tout. Pour autant j'estime que, du moment que j'atteints mes objectifs, je préfère que ce soit avec "ma méthode", en pratiquant un management implicatif et humain plutôt que concurrentiel et agressif.
Donc à résultat égal je choisirai toujours la méthode "j'explique le pourquoi, le pour qui, le comment" que la méthode "débrouille-toi et va te prendre un mur". Même si cela me demande plus d'énergie préalable. Parce que j'estime que c'est la voie la plus efficace à long terme (un investissement initial plus important pour des efforts moindres après). Et qu'au final j'y aurai passé moins de temps et d'énergie. Même si j'avoue que je n'ai jamais fait le travail de le mesurer objectivement (et si quelqu'un a une méthode ou un retour d'expérience pour ça, je suis preneuse).
Mais je pense que ça me permet d'obtenir bien plus que mon simple objectif initial. Puisque mes équipes comprennent pourquoi elles agissent, dans quel contexte se situe leur intervention, elles en viennent naturellement à prendre des initiatives pour identifier plus vite des risques, proposer ou mettre en place des améliorations ou anticiper des évolutions du process. Et surtout, cela ne m'empêche en rien de parfois juste leur demander d'appliquer bêtement une consigne et de produire ma demande telle quelle.
Toute chose que je n'ai jamais constaté chez des personnes qu'on met en porte-à-faux et qui sont régulièrement mises à mal en public par leur manager, soit par manque d'information, soit par manque de soutien et d'accompagnement. Ces gens-là je les vois se renfermer, se protéger, devenir de moins en moins créatifs et impliqués dans leur mission. Ils ne font pas plus que ce qui est demandé. Pas moins (et encore), mais juste ce qui est demandé.
Et surtout, comme ils ne savent pas pourquoi (ni pour quoi) ils travaillent, le jour où le manager n'est plus là ça devient rapidement l'anarchie. La machine se grippe dès que les tâches identifiées sont traitées et que la moindre question survient.
Dans ma conception des choses je manage des personnes ayant des compétences, je leur délègue des missions, et ils ont des responsabilités propres du fait de leur poste. Et la conclusion naturelle pour moi c'est que je veux des personnes impliquées et efficaces. Des êtres humains qui utilisent leur cerveau.
Dans la conception des choses de certains managers, ils managent des outils de production. Des hommes-machines que les déchargent de certaines tâches (ce sont des ressources dans la vision néo-taylorisme du management). Et ces personnes ne sont que des extensions d'eux-mêmes qui doivent apprendre à fonctionner "à la dure".
On ne prend pas le temps d'expliquer à notre ordinateur pourquoi on crée tel document, ou pourquoi on fait telle recherche. On attend qu'il fonctionne, qu'il fasse les choses comme on le veut, qu'il nous "obéisse". Mais l'ordinateur ne pourra jamais donner plus que ce qu'on sait faire nous même. L'ordinateur ne pourra jamais faire plus que ce qu'on a demandé. Même s'il a infiniment plus de capacités.
Et moi je ne veux pas des hommes-machines terrifiés par la prochaine épreuve du feu que je vais leur imposer. Je veux des collaborateurs. Epanouis, efficaces, impliqués et créatifs autant que faire se peut.