22 Octobre 2014

Marche ou Crêve

5 min de lecture

Stephen King, le nouveau saint patron du management

Nouveau jeu à la mode

Dans le jeu du "marche ou crêve", on demande à un membre de son équipe une prestation quelconque, et on le laisse se confronter directement au client final (de préférence un directeur haut placé de l'entreprise, ou un client coriace) pour qu'il se fasse découper en rondelles. Métaphoriquement, mais quand même.
Dans le jeu du "marche ou crêve", on juge les gens à l'emporte pièce. Lui, il est nul. Lui, il a du potentiel. Elle, elle a envie mais son boulot est pas top. Et voilà, tout le monde gentiment rangé dans des petites cases. Des petites cases dont il devient rapidement quasi impossible de bouger.
Dans le jeu du "marche ou crêve", on incite les gens de son équipe à "rapporter" ce qu'ont fait les petits copains, et on lynche en public ceux qui ont fauté. Comme ça on s'assure que les gens vont passer plus de temps à se surveiller les uns les autres et à se protéger plutôt qu'à bosser.

Inepte

Le plus triste dans tout ça, c'est que l'explication la plus courante que j'entends pour justifier ce type de comportement c'est "Nous aussi on nous demande de fonctionner en mode marche ou crêve, alors pourquoi pas eux ?". Et bien il y a plein de raisons pour répondre à ce "pourquoi pas eux ?".

Déjà parce que "eux" ce n'est pas "nous". Oui je sais, la fulgurance du raisonnement a de quoi dérouter ;-). Que je sâche les membres de nos équipes n'ont pas les mêmes responsabilités ou contraintes que nous, mais pas non plus nos avantages et émoluments.
Ensuite, parce qu'on n'est plus à l'école maternelle et les justifications à base de "mais pourquoi lui il a le droit et pas nouuus", le tout sur un ton pleurnichard, ce n'est plus de notre âge. Sous prétexte qu'une pratique stupide nous est imposée, on doit l'imposer aussi aux autres ?
Enfin parce que c'est mesquin de se venger et d'utiliser une position dominante sur autrui. En quoi cela va alléger notre propre sentiment de frustration et d'injustice de placer d'autres personnes dans une situation qu'on juge nous même intenable ?

Moutons de Panurge

Donc au lieu de faire un choix responsable, et d'utiliser nos contacts privilégiés avec le top management voire la direction pour faire changer les choses on préfère baisser la tête et faire comme les autres.
Oui c'est bien plus simple. On n'est pas entraîné dans un conflit potentiel. On ne se fait pas remarquer. On ne passe pas pour l'éternel raleur (ou raleuse en l'occurrence) jamais content et en rébellion contre le système. On suit le rythme de tout le monde, on rentre sagement dans un moule et une routine confortable qu'on prend soin de ne pas questionner.

Révolution !

Bon, non, j'exagère. Je n'ai rien d'une révolutionnaire des temps modernes. Et je n'estime pas non plus détenir la seule voie possible pour bien manager.
D'ailleurs si des managers appliquent cette règle du "Marche ou crêve" à leurs équipes non seulement en toute connaissance de cause mais parce qu'ils estiment que c'est la meilleure façon de (les) manager... pourquoi pas. Je ne suis pas d'accord avec eux mais ça a le mérite d'être un acte volontaire.

Mieux vaut réfléchir avant d'agir que regretter après avoir agi. (Démocrite)

Par contre je considère la démarche comme hypocrite pour tous ceux qui font ça parce qu'ils :

  • n'ont pas les moyens de faire changer les choses pour eux-même.

  • n'osent pas agir sur le fait qu'ils subissent ce type de management.

  • se sentent frustrés et veulent se "défouler".

Nous ne sommes pas à l'armée (bon en tout cas pas dans les cas que je décris). Nous ne sommes plus en des temps où les humains n'étaient véritablement que des objets dont les propriétaires usaient comme ils le voulaient. On a tous le droit au minimum de considération et de respect au travail.

Révolution douce alors

Sauf pour quelques uns d'entre nous (les autoenpreneurs ou les créateurs d'entreprise par exemple), même si notre métier nous plait cela reste avant tout un moyen de gagner de quoi vivre. Nous n'avons rien à gagner de plus à nous donner corps et âmes à nos jobs qu'à ne pas le faire. Et cela vaut la plupart du temps pour tous les échelons de l'entreprise, du top management aux employés.
Voire nous avons beaucoup à perdre (comment on fait quand notre investissement exceptionnel devient le niveau minimal qu'on attend de nous ?).

Et les contrats de travail qui nous lient à nos employeurs sont à double sens : accomplir les objectifs qui nous sont fixés ne peut se faire que si on nous en donne les moyens. Les lâcher dans la nature, la fleur au fusil, en attendant de voir ce que ça va donner, ce n'est pas donner les moyens aux gens d'accomplir leur mission.
Je ne trouve pas ça tolérable qu'on me demande à moi de fonctionner en mode "marche ou crêve". Cela l'est donc encore moins de l'imposer à mes équipes. Si je dois agir, ce ne sera pas en faisant descendre cette pression, mais en essayant de changer le système. Oui, mon équipe peut très bien fonctionner sans ça, et elle le prouve au quotidien. Et autant que possible je préfère travailler à ce qu'on ne me place plus moi-même dans cette situation.
Un dessin parlant plus que mille mots, j'estime que rien ne vaut des exemples réussis pour convaincre les autres.